
Rapport de session d'enregistrement

Paru dans DIG IT! No 41 - Site
du DIG IT! Fanzine
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Recorded
on the night between 30th of June and the 1st of July 2007 / Out
on Squoodge Records / November 2007
List
of songs:
01
- Does it sound like death?/02 - Weapon factory* (The Wards)/03
- Re-design my face /04 - Green pain in the anus/05 - Rocket to
USA /06 - Destroy the industry /07 - Children are shit too
08 - I can get no satisfaction** (The Rolling Stones)/09
- I-pod crash/10 - How to make speed?/11 - Black pest/12 - Bourgeois
nations/13 - Patrol cars/14 - Polizei wagen/15 - I am the Yéti/16
- Rock it to the moon*** (The Stranglers)
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(Olivier) Les
autres m’ont regardé avec des yeux de débiles profonds
quand je leur ai proposé ça. Enregistrer un 45 en se posant
des contraintes, selon le vieux principe Oulipien. Sachez juste que
l’Oulipo préconise de s’imposer soi-même des
contraintes artistiques. La contrainte est alors perçue comme
génératrice de nouvelles formes, ludiques et innovantes.
Mon cul, oui.
Donc, voici la liste des contraintes :
-enregistrer 16 morceaux en une nuit.
-aucun morceau ne devra avoir été répété
avant la session d’enregistrement.
-enregistrer tous les instruments en prise live.
-aucun morceau ne doit faire plus de 30 secondes.
-aucun morceau ne doit être un bouche-trou (ni Spoken Word, ni
instrumentaux…).
-cinq grammes de speed doivent être utilisés par les musiciens.
-personne ne doit aller pleurer sa maman. Jamais.
-les paroles ne doivent pas être constituées de plus de
deux phrases.
-sauf pour les voix, pas de post-enregistrement.
-chaque morceau doit être une dénonciation de cette société
pourrie. Ou être une vignette illustrant la vacuité de
la vie moderne.
-si le résultat est minable : aucune honte n’est autorisée.
Envoyer l’enregistrement au label dans tous les cas.
L’idée est venue
en se demandant combien de morceaux de 30 secondes on pourrait caser
sur un single tournant à 45 tours minute. Le calcul a été
relativement simple. 16 titres, ça fera 8 titres par face.
Samedi 30 juin 2007. 20H. Le moment le moins passionnant. Il faut transporter
le matériel jusqu’au studio et tout installer. Le studio
est dans un grand bâtiment sur le Prado, à Marseille. On
enregistre au GMEM, le « Centre National de Création Musicale
». Hugues travaille ici. C’est long à se mettre en
place. Monter la batterie, installer les micros, disposer les cloisons
coupe-son, aller acheter des packs de Kronenbourg.

22H. Les deux premiers morceaux passent comme s’ils étaient
lubrifiés. Morceau numéro 1 : Rémi, pourtant batteur,
sort un riff haché, un peu contre-nature, on colle un beat, et
puis c’est tout. On sniffe un peu, histoire de dire. On fait tourner
un riff ultra basique des WARDS. Comme ça il y aura une reprise,
« Weapon factory », excellent morceau que Hugues gâche
un peu en transformant le riff. Tout se passe bien. C’est un peu
dur de composer en restant dans la limite des trente secondes. Il suffit
d’abandonner toute idée de pont ou d’intro. Marc
et Nasser tournent à la basse, ce qui permet à l’un
d’enregistrer pendant que l’autre va s’isoler pour
trouver un riff. On reprend du speed. Faut faire gaffe, on en est déjà
à 5-6 gros traits chacun.
Vers minuit on bloque un peu alors qu’il n’y a que quatre
morceaux d’enregistrés, cela est dû en grande partie
au fait qu’on parle comme des vieilles femmes. Hugues commence
à avoir des tics et Nasser regarde tout le monde avec les yeux
en soucoupe. Heureusement la baisse de régime n’est que
momentanée. Nasser sort une ligne pompée sur Suicide et
on fait « Rocket to USA ». Comme tout le monde le sait,
les USA et les capitalistes sont les ennemis de la classe ouvrière.
Ça fera le pendant avec le prochain morceau « Destroy the
industry », avec une intro très pop que je déteste,
mais tant pis, il faut continuer à avancer. Arrive un moment
où trop de speed nuit à la communication. Chacun est un
peu bloqué sur son instrument à chercher une ligne. Ou
alors à dire du mal d’un de nos amis communs. Hugues sort
alors sa botte secrète : il a acheté un baluchon de MDMA
qu’il avait prévu en cas de panne d’inspiration.
Je n’en prends pas, sachant que ça va m’handicaper
pour faire mes voix. Rester carré. Hop ! Parachute pour eux.
Juste un tout petit petit pour moi. Ben oui, finalement…
Le Parachute est une très belle invention. Ça consiste
à mettre des cristaux de MDMA dans une feuille de papier cigarette
et de gober ça. Il faut faire attention au dosage.
Il est presque 1h du matin. On en est à sept morceaux dans la
boite. Nasser commence à devenir vague, Rémi devient fou
et m’explique comment il voit la ligne de chant à cet endroit-là.
Hugues plante l’ordinateur en inventant de nouveaux raccourcis
clavier. Marc est scotché et délire avec l’appareil
photo numérique.
Je les déteste tous. Ils se croient à l’école
maternelle ou quoi ? Tiens ça me donne l’idée d’un
morceau avec un refrain en chabidoua qui ferait « Children are
shit too ». Nasser me regarde comme si j’étais un
monstre. Je méprise les bébés et tous ceux qui
veulent en avoir. J’espère que des millions d’enfants
pourris vont se mettre à pleurer de par le monde. Nasser ne saisit
pas la référence au morceau acoustique de Johnny Thunders.
Rien à foutre, on continue.
On est un peu à fond, là.
Pour se détendre on fait une reprise décomplexée
de « I can’t get no Satisfaction ». Ça a déjà
été fait j’avance, « Haha c’est d’autant
plus débile ! » me répond-on. Bon. On continue…
Marc arrive avec un morceau qu’il a composé là haut
dans le bureau du studio. Ça fait un peu hardcore mélodique.
Il faudra que je trouve un gimmick spécial sur la voix pour désenclencher
ça. Il est 2h du matin. On continue à sniffer du speed.
On a peur que l’inspiration artistique tombe, mais pour l’instant
ça roule, c’est beau et équilibré comme du
Richard Brautigan.
Histoire de dire, on se fait une dixième ligne de psychostimulant.
Je les observe un peu. J’en vois deux qui se frottent là
bas au fond en se disant « Tu es vraiment un ami toi… ».
Le MDMA fait toujours effet. Hugues, devant le Macintosh a de plus en
plus de mal à gérer son logiciel. Il est tout rouge. Il
transpire. Il souffle. Il continue à jouer impeccablement, c’est
l’essentiel. Je trouve que je sens l’anchois.
Le prochain morceau s’appelle « Black pest ». Je crie
le titre, il font un riff sur la rythmique vide. Un genre de blues.
Rémi lance l’idée de faire un morceau boogie. On
décide donc de faire un morceau dans la droite lignée
de « Hygiaphone », mais en plus Stoogien. Speed encore.
On fait une petite pause, il est 3h.
Nasser te regarde, tu hésites, partir en courant ou exploser
de rire ? Il trouve quand même le moyen d’empoigner la guitare
de Hugues (« fais gaffe elle coûte 2500 euros ! »)
et sort un riff rampant pas trop mal. Velvet presque. Hugues fait la
basse à sa place donc. On fait deux prises, une lente une rapide.
Peut-être qu’on gardera les deux. Ça sera «
Polizei Wagen » et « Patrol cars ». J’ai l’idée
de faire encore un morceau anti-Rock & Folk, mais les autres m’en
dissuadent. « Qu’est ce qu’on a à branler de
ces blaireaux ! ». OK, mais une allusion à ce petit pédé
de Nicolas Ungemuth, ça aurait été bien, non ?
Non. OK. « Hé Olivier tu mettras dans les crédits
que j’ai enregistré la guitare ! ». Oui, et j’écrirai
qu’elle t’habille toi et ta famille.
Je transpire comme un dauphin. Il faut que je me calme. Il est 4H, encore
deux morceaux et on aura les seize titres enregistrés ; niveau
instrumental du moins. Hugues et Nasser pensent qu’on est géniaux.
Ils parlent des MONKS et de WIRE. Tout ça va mal finir.
Nasser, qui décidément caresse les muses ce soir, fait
tourner une ligne de basse belle et envoûtante. Hugues s’écrit
que c’est de la belle merde. On décide donc de partir là-dessus.
Ça sera « I am the Yéti - I love snow ! »,
oui, c’est bien, encore un morceau politique…
Sulfate d’amphétamines, encore. Dernier morceau. Et là,
l’idée grandiose, peut-être. Une reprise en trente
secondes d’un morceau des STRANGLERS. On va sur Youtube, on trouve
le morceau, « Rock it to the Moon » en l’occurrence
et hop ! It’s in the motherfucking box.
Les seize morceaux sont enregistrés. Il va alors s’ensuivre
ce qu’on peut comparer à l’ouverture générale
des cages d’un zoo. Accolades, parachute de MDMA, danses du fifre,
félicitations, snifoulettes argentées à n’en
plus finir… On est fiers comme des skinheads avec des bretelles.
Il est 5 heures du matin. C’est à moi d’enregistrer
la voix. J’ai un peu la pression mais j’ai pris des notes
pendant les heures précédentes.

(Nasser) La satisfaction
du devoir accompli dissipée, la vision d’Olivier empoignant
son micro m’angoisse un instant. Explications : avec tout le respect
que je dois à ce vieux compagnon avec lequel je partage mon expérience
musicale depuis mes tendres années de lycée, Olivier n’a
pas vraiment le rythme dans la peau contrairement à moi qui suis
un arabe. Du coup lorsqu’on enregistre les voix ça peut
prendre des plombes. Parfois, on lui fait des signes pour lui indiquer
à quel moment il doit chanter ce qui le vexe terriblement. Il
nous dit : « Pff, vous comprenez rien, c’est fait exprès
quand je chante à côté, c’est pour faire punk
». On lui répond : « Ah ok, c’est pour ça...
». Et on recommence les prises.
Bon les micros sont installés, Hugues notre sorcier du son effectue
les derniers réglages et moi je commence à être
sacrément débonze… À notre grande surprise,
Olivier réalise ses prises du premier coup : « Green pain
in the anus » est enregistré avec une facilité déconcertante,
ce qui m’énerve un peu car j’avais bien l’intention
de me moquer de lui.
Je suis de plus en plus flou et approximatif, j’ai les traits
tirés et j’ai l’impression qu’une simple pression
sur n’importe quelle partie de mon visage suffirait à faire
jaillir mes yeux hors de leurs orbites. Je prends la décision
de me retirer un instant d’autant plus que tout se passe bien
et que personne ne sollicite mes services. Tout le monde est hystérique
: Hugues me fait penser au DJ du Macumba derrière sa console
, Marc continue à prendre des photos très artistiques
(c’est du moins ce que je pense à ce moment là)
et Rémi qui d’ordinaire n’a pas d’autre souci
que de veiller à ce que sa grosse caisse résonne aussi
fort que les pas de Godzilla semble très inspiré et propose
des chœurs à faire pâlir de jalousie les SUPREMES
(c’est du moins ce que je pense à ce moment là).
Quant à moi je déambule à la manière d’un
mystique maudit, je baragouine des trucs que personne ne semble comprendre.
Il est 7H. Je monte à l’étage, j’explore un
peu les lieux et m’écroule finalement de tout mon long
sur un divan bleu. Complètement scotché je ne trouve rien
de mieux à faire que de contempler les croûtes qui se détachent
du plafond. J’entends tout le monde délirer en bas ce qui
semble indiquer que l’enregistrement se poursuit dans la joie
et la bonne humeur. Visiblement soucieux de la dégradation de
mon état mental, Marc monte me voir. Il attrape une chaise et
s’installe près de moi. Toujours allongé sur mon
divan, j’ai l’impression qu’une séance de psychanalyse
va commencer. En fait Marc me demande si je veux reprendre un peu de
speed pour retrouver mes esprits. On échange quelques mots puis
il me recommande de me joindre à l’assemblée car
c’est le moment de l’enregistrement des chœurs, un
moment que j’affectionne particulièrement puisque ça
me donne l’illusion d’être un chanteur. En général,
quand je chante normalement je ne fais pas l’unanimité.
Trop Oï. Du coup je me suis entraîné à prendre
une voix aiguë, un peu comme celle des chanteurs funky des années
80. Le résultat est étonnant. Hugues aussi y arrive mais
moins bien que moi je trouve.
9H du matin. Bien décidé à faire groover la session
avec ma voix funky, je décide de me joindre à mon équipe
après une longue éclipse. Je pénètre la
salle d’enregistrement en tentant de faire bonne figure et tout
le monde éclate de rire. Je dois avoir un air drôlement
ahuri. Mon enthousiasme est réduit à néant. Je
m’installe sur un fauteuil l’air de rien. Hugues me fait
écouter ce qu’ils ont enregistré tandis que tout
le monde continue de s’agiter. Dans un éclair de lucidité
je leur demande pourquoi ils fixent tous l’écran de l’ordinateur
lorsqu’ils réécoutent un morceau mais personne ne
me répond. Hum, je crois que je ne suis pas le seul à
être débonze… Je trouve que « How to make speed
» est très réussi mais je continue de penser que
la reprise de « Satisfaction » est une mauvaise idée.
Sinon je trouve aussi que c’est fantastique.
Marc prend un balai et imite une sorcière. Il me demande de le
prendre en photo. Ce manège va durer trois quarts d’heure.

L’enregistrement reprend. L’énergie et l’enthousiasme
sont toujours intacts à part pour moi Tout le monde est à
fond. Personne ne veut lâcher le micro et les idées continuent
de fuser comme des Scuds. Hugues répète pour la 88ème
fois qu’il est défoncé… C’est marrant
il a presque l’air surpris. Depuis qu’il a arrêté
de chanter dans son groupe de tapette, « Les DOLLYBIRDS »,
il est devenu un vrai punk.
J’ai l’impression d’aller mieux. Il ne reste plus
que trois ou quatre morceaux à faire et l’enregistrement
sera terminé. Je réalise soudainement que je n’ai
fait aucun chœur. Je me dis qu’il faut absolument que je
trouve un truc. Je propose aux gars une idée de chœur que
seul le chef des Skinhead de Lille aurait pu trouver. Ils me regardent,
perplexes. On me dit : « Euh ouais c’est pas mal mais bon
je crois qu’on va le laisser comme ça celui là,
non ? ». À ce moment là Olivier profite de l’absence
de Marc (je crois qu’il devait faire sortir son chien Enos, je
ne suis pas sûr…) pour nous suggérer de supprimer
l’un de ses morceaux. Le salopard n’osait pas dire à
Marc qu’il n’aimait pas son morceau. Il faut dire aussi
que c’est le plus balèze des HATEPINKS.
Je retourne sur ma chaise en me demandant pourquoi je suis le seul à
être dans cet état. À ce moment là on me
lance : « Nass t’es à la rue, je croyais les arabes
un peu plus fiers que ça ! » Je ne trouve rien à
répondre et je reste immobile sur ma chaise avec des yeux ronds
comme des billes.
11H. Il ne reste plus qu’à faire les chœurs des deux
derniers morceaux. Grand fan des Stranglers, j’insiste pour chanter
le refrain de « Rock it to the moon ». On fait une petite
pause cigarette et on boit du vin rouge cubi dans des gobelet en plastique
quand soudain me vient l’illumination : je propose de faire des
grognements d’ours sur le track « I am the Yéti ».
On me demande pourquoi des grognements d’ours et je réponds
que c’est pour illustrer la bagarre entre l’Eisbär
et le Yéti. Tout le monde fait : « Ahhhh, ok, super ».
On fait les prises, l’enregistrement est fini. Je suis content.
Il est 12H.
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